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Les musiques du soufisme

La musique pour se rapprocher du divin

Comme la plupart des religions, l'Islam peut se vivre de plusieurs manières selon qu'on s’attache plus à sa forme orthodoxe ou à sa dimension ésotérique. Or si le Coran et les hadîths décrivent précisément la façon de se comporter dans le monde, ils ne disent pas au croyant comment se rapprocher intimement du Divin.

 

Dans ce but et dès les premières heures de l’Islam, des mystiques ont donc développé des pratiques, recourant notamment à des techniques vocales et respiratoires bien particulières, pour maîtriser leur corps et leur équilibre émotionnel et accéder ensuite à un état de grâce extatique.

 

D’une manière générale, on désigne ces mystiques sous le nom de "soufis". Certains ont transmis leur connaissance à leurs disciples; d'autres sont décédés sans avoir jamais enseigné, mais l’énergie divine (baraka) qui émanait de leur personne leur a valu d’être vénérés et imités longtemps après leur mort. C’est ainsi que sont nées les confréries (tarîqa), les voies diverses du soufisme.

 

Au fil des siècles, les techniques et les oeuvres des saints fondateurs se sont perpétuées, traversant avec plus ou moins de succès de dangereuses périodes de censure et de répression, pour donner ce patrimoine poétique et musical que nous connaissons aujourd'hui.

 

Le concert spirituel

Une des pratiques fréquemment associée aux méthodes du soufisme est ce qu’on appelle le sema ou samâ, l’audition mystique, dont le but est de "faire surgir ce qui est dans le coeur": à la recherche d’un état intérieur, le fidèle a une attitude plutôt passive et réceptive. Puis vient le zikr ou dhikr, rituel plus actif de remémoration et d’invocation. La confession de foi - "La ilaha illa Allah, il n’y a de Dieu que Dieu"- éveille chez le croyant la conscience de l’être unique. Par sa répétition chantée, psalmodiée, murmurée, parfois presque silencieuse, ou au contraire montant de la gorge et grondant comme une vague, l’esprit glisse de l'invocation sonore à la contemplation silencieuse, de l’éphémère à l'éternel.

 

Le Sema, cérémonie Mevlevi, une archive de l'Unesco

 

Les Hamadcha de Fès aux Nuits Soufies - Abderrahim Amrani 2016

 

Repris en choeur, le chant mystique se double d’une chorégraphie rituelle. Celle-ci peut évoquer la ronde cosmique des étoiles, à la manière des fameux derviches tourneurs, ou les vagues de l’océan, dans le cas des cercles soufis de Zanzibar.

 

L'ensemble soufi Mtendeni Maulid de Zanzibar au Festival de Fès

 

Confréries d’Orient et d’Afrique

Les premières tarîqa soufies sont nées au Proche-Orient, mais à mesure que grandissait l’Islam, leurs adeptes en ont propagé les pratiques sur tous ses fronts, de l’Inde au Sénégal en passant par le Maghreb. Mais si le chant reste au centre de toutes les pratiques, le choix des formes musicales et des instruments qui l’accompagnent ou lui répondent a énormément varié en fonction des contextes culturels nouveaux auxquels il fallait s’adapter.

 

Ainsi en Anatolie, quand les Mevlevi affectionnent le chant du nay, la flûte en roseau chère au saint poète Djalâl ed-Dîn Rûmî, les Alévis lui préfèrent le jeu du luth saz à long manche, qu’ils considèrent comme aussi précieux et saint que le Coran.

 

Djem, le sema des Alevis, une archive de l'Unesco

 

Dans tout le Kurdistan, les rituels sont rythmés par le battement des daff, de grands tambours sur cadre garnis d’anneaux métalliques. Plus à l’est, dans les montagnes du Cachemire, c’est le santour, la cithare à cordes frappées, qui porte délicatement le Sûfyâna Kalâm (litt. la parole soufie), tandis que dans les mausolées des saints soufis du Sindh et du nord de l’Inde, le chant jubilatoire du qawwali est imprégné de tradition classique hindoustanie et rythmé par le jeu du tabla.

 

Sur le continent africain, les percussions se multiplient et se font polyrythmiques. Très présentes dans tout le Maghreb, elles trouvent leur paroxysme dans le jeu de certains tambours sénégalais: le xiin des bayefall mourides ou les impressionnants tabala wolofs de la confrérie Qadiriyya.

 

Hamadcha, une confrérie soufie marocaine

Aux côtés des Gnawa et des Aïssawa, les Hamadcha représentent une des trois plus importantes confréries soufi dites "populaires" du Maroc. Le saint à qui ils se réfèrent, Sidi Ali Ben Hamdouch, a vécu au XVIIéme siècle, et depuis cette époque, la confrérie sʹest toujours illustrée par lʹoriginalité de son répertoire, ses danses envoûtantes et les qualités de transe-thérapeutes de ses membres.

Frédéric Calmès, musicien français installé à Fès depuis plus de 8 ans, est le seul membre non-marocain de la confrérie.

 

Hamadcha, une confrérie soufie marocaine dans l'Emission "Versus-écouter" du 30 août 2017, à la RTS

 


 

Hommage à Nusrat Fateh Ali Khan

Apôtre du qawwali, chant soufi jubilatoire du nord de lʹInde et du Pakistan, Nusrat Fateh Ali Khan a été une des premières vraies stars internationales de la world music. Sa voix à lʹintensité et à la souplesse déconcertantes, sa présence embrasée sur scène et ses multiples rencontres musicales lui ont valu  lʹadmiration unanime des publics les plus différents, alors que lui restait fidèle à son message: "quand je chante, la distance entre Dieu et moi est moins grande…".

 

Nusrat Fateh Ali Khan sʹest éteint le 17 août 1997, il y a 20 ans déjà.

 

Son biographe Pierre-Alain Baud évoque sa personnalité exceptionnelle et son héritage.

 

Hommage à Nusrat Fateh Ali Khan dans l'Emission "Versus-écouter" du 29 août 2017 à la RTS

 

 

Remerciements

Avec l'aimable autorisation de l'auteur des textes, Vincent Zanetti, journaliste à la RTS, musicien et spécialiste des musiques traditionnelles du monde.

 


 

 

À propos de ce blog
Cherchant à créer des ponts entre l’Orient et l’Occident, Catherine Touaibi se spécialise en tant que reporter-photographe dans les sanctuaires soufis. À ce jour, elle a visité et répertorié plus de 200 mausolées de saints soufis dans le monde. A travers ce blog elle souhaite partager des rencontres, des histoires drôles, des sagesses et aussi des actualités.