Djalâl ud-Dîn Rûmî – La voie de l’Amour

Né le 30 septembre 1207 à Balkh, 
Afghanistan
Mort le 17 décembre 1273 à Konya, Turquie

Viens, qui que tu sois, croyant ou incroyant, viens, c'est ici la demeure de l'espoir.

– Rûmî

 

La femme est le rayon de la lumière divine.

– Rûmî

 

Nous ne sommes pas ici pour convaincre qui que ce soit. Nous sommes ici pour montrer le chemin de l'amour et de la sincérité.

– Rûmî

 

L'amour, c'est s'envoler vers le ciel...

– Rûmî

Bibliographie

› CAN Şefik, Fundamentals of Rumi’s Thought. A Mevlevi Sufi Perspective, Clifton, Tughra Books, 2014

› VITRAY-MEYEROVITCH Eva de, Rûmî et le soufisme, Paris, Seuil, 2005, Collection « Points Sagesses »

› VITRAY-MEYEROVITCH Eva de, Konya ou la danse cosmique, Paris, Jacqueline Renard, 1989

Fondateur de la confrérie Mevlevis

Considéré comme l’un des plus grands poètes, philosophes, érudits de langue persane et maîtres spirituels, Djalâl ud-Dîn Rûmî est né en 1207 à Balkh au Khorassan, dans l’actuel Afghanistan. Par crainte de l’invasion des Mongols, sa famille quitte leur région natale en 1219 pour une pérégrination qui va les conduire à Nishapur où Rûmî va rencontrer le grand poète mystique Attâr (m. 1142), qui lui offre son Livre des Secrets en disant à son père : « C’est un espoir que ton fils allumera le feu des cœurs qui brûle avec l’amour divin. » Le voyage se poursuit vers Bagdad, puis La Mecque, Médine, Damas, Erzincan ensuite Karaman.

 

A l’invitation du Sultan Alâ-od-Dîn Kaykobâd Seldjukide, la famille arrive à Konya le 3 mai 1228. Le père de Rûmî, Bahâ-ud-Dîn Walad est un professeur et éminent théologien auquel le Sultan a offert un collège. Au décès de son père en 1230, Rûmî prend la relève. Un jour, un ancien disciple de son père, Burhân-ud-Dîn Tirmidhî, arrive et devient le maître spirituel de Rûmî pendant neuf ans. Il l’envoie étudier à Alep qui était alors un centre culturel florissant, puis Rûmî passa quatre années à Damas, une ville où se trouvait bon nombre d’érudits. A son retour à Konya, Rûmî, qui jouit d’une excellente réputation, enseigne à de nombreux disciples. Sa carrière de professeur semble toute tracée quand un événement vient ébranler sa vie.

 

En 1244, alors qu’il sort de son collège avec ses étudiants, Rûmî rencontre un mystérieux derviche errant, Shams de Tabrîz, qui lui murmure une question à l’oreille. Rûmî s’évanouit. Malgré certaines hypothèses, personne ne connaît le contenu de la question avec certitude. Toujours est-il que cette entrevue avec Shams qui signifie soleil bouleverse totalement la vie de Rûmî qui devient son disciple. Shams, âgé d’une soixantaine d’années, est un éveilleur de conscience.

 

L’amour passionné de Rûmî pour Shams ne peut être compris qu’avec une connaissance approfondie du concept de l’amour dans la tradition mystique de l’islam. Rûmî et Shams passent leur temps ensemble en permanence, proximité qui n’est pas bien tolérée par leur entourage.

 

La rencontre avec Shams permit à Rûmî d’accéder au Divin ineffable, de faire l’expérience des lumières de la théophanie, de vivre une transformation alchimique de l’être et d’acquérir la sagesse céleste. Son amour pour le divin devient un amour transcendant.

 

Suite à la disparition mystérieuse de Shams – on pense qu’il aurait été assassiné par jalousie par des disciples de Rûmî – ce dernier demeura longtemps inconsolable. Lorsqu’il comprit qu’il ne retrouvera pas Shams vivant, il découvre enfin qu’il saura toujours le trouver dans son cœur.

 

C’est à ce moment-là qu’il institua le Sema (danse spirituelle) ; son fils Sultân Valad le dépeint ainsi : « Jamais il ne cessait un instant d’écouter la musique et de danser. Il ne se reposait ni jour, ni nuit. Il avait été un savant : il devint un poète. Il avait été un ascète : il devint enivré d’amour. Non du vin de raison : l’âme illuminée ne boit que le vin de la Lumière. »

 

Le célèbre recueil de Rûmî, rédigé en persan et intitulé Mesnevi (en turc) ou Methnâwî (en arabe), comporte 25’618 couplets. Rûmî a écrit de sa main les dix-huit premiers couplets. C’est à son proche disciple Husam ud-Dîn Chelebi qu’il a dicté le Mesnevi, c’est-à-dire les poèmes et les histoires en vers, en tout lieu, en tout moment, sur plusieurs années, ce qui constitue au final six livres. Etant donné qu’il est difficile de comprendre les secrets et subtilités du Mesnevi, plusieurs commentaires ont été écrits au fil du temps. Comme souligné par Cheikha Nur, maître spirituelle et enseignante du Mesnevi lors d’une conférence, ce qui est exceptionnel à propos du Mesnevi: « Chacune des paroles qu’il va prononcer va prendre la forme parfaite en couplet rimé. Il n’y a pas de situation équivalente sur terre. »

 

On doit la première traduction du Mesnevi en français à Eva de Vitray-Meyerovic (m. 1999) qui, bouleversée par l’universalité du message de Rûmî, a dédié une dizaine d’années à la rédaction de cet ouvrage.

 

Rûmî, qui passe l’essentiel de sa vie à Konya, est affectueusement appelé dans toute la Turquie « Mevlâna » ce qui signifie « notre maître ». En Occident, il est surtout connu comme le fondateur de la confrérie des derviches tourneurs. Mais en réalité, c’est son fils Sultân Valâd qui a structuré le rituel et organisé la confrérie.

 

Il existe de nombreux points communs entre Rûmî et saint François d’Assise, mort en 1226, lorsque Rûmî avait 19 ans : l’amour de la poésie, de la nature, des animaux, des pauvres, la simplicité, le lien avec le cosmos.

 

Rûmî est l’incarnation de la religion de l’amour, de la paix et la beauté. Selon lui, toute la beauté que nous voyons dans ce monde est le reflet de la beauté divine. Son mausolée à Konya en Turquie qui est aujourd’hui un musée a accueilli en 2018 plus de 2,8 millions de visiteurs !

 

Chaque année, le 17 décembre, la cérémonie du Sheb-i-Arus a lieu à Konya et dans plusieurs villes dans le monde. Il s’agit d’une grande danse de derviches en mémoire de l’anniversaire de la mort de Rûmî.

— Catherine Touaibi

 
Récit de voyage

Le tombeau de Rûmî est aussi un musée et il y a des gardiens afin de respecter les horaires et la sécurité. Durant les quatre jours passés à Konya en 2019, je suis venue plusieurs fois par jour au sanctuaire afin de m’imprégner de l’esprit des lieux. C’était l’été et il y avait beaucoup de monde qui défilait. Comme je suis venue à plusieurs reprises durant plusieurs jours, un gardien me reconnaît, il me sourit avec bienveillance. Délicatement il m’offre un chapelet bleu ciel !

 

La même journée, je reçois par un artisan qui tient un magasin une invitation à participer à une séance de zikr (invocation) le samedi soir avec des derviches. Il suffit de se rendre à tel endroit et de dire que je viens de sa part. Le jour venu, je me rends à ce lieu. La porte ne comporte aucune inscription, sauf un numéro. Je sonne. Il ne se passe rien. Je sonne à nouveau. Puis je patiente. Le doute commence à m’envahir. Peut-être ne suis-je pas au bon endroit ? Finalement un commerçant d’à côté vient me montrer comment ouvrir la porte ! …

 

A l’intérieur, le cheikh, d’aspect plutôt jeune, environ 40 ans, m’accueille chaleureusement. Il a le sourire aux lèvres et beaucoup d’humour. Une dizaine de personnes sont déjà là, une vingtaine nous rejoint rapidement. Le Cheikh me fait signe de m’asseoir près de lui et on m’offre un thé. Un homme commence à jouer du Ney (flûte de roseau). Un frisson me parcourt. Au bout de cinq minutes un chant commence au son du tambour. Ensuite les invocations s’enchaînent : La ilâha illâ l-Llâh (Pas de divinité si ce n'est Dieu) dans un rythme lent, lié à la respiration. Puis au bout de 15 minutes, le rythme s’accélère, le souffle aussi. Chez ces hommes, il y a à la fois une puissance et une grande douceur. C’est un instant de grâce. Etre ici en compagnie de derviches est un immense cadeau. Je savais qu’Eva de Vitray avait été invitée chez des soufis à Konya pour des réunions spirituelles, mais honnêtement, je ne pensais pas que cela allait m’arriver un jour ! Durant presque une heure, mon âme s’envole et je suis transportée dans un état de plénitude. Goûter à la saveur divine. Le temps et l’espace n’existent plus. L’air que je respire est purifié et bienfaisant.

 

Lorsque les invocations sont terminées, on nous offre des fruits. Discrètement je me pince le bras pour voir si je ne suis pas en train de rêver. Ces hommes sont des hommes de Dieu. Ils sont au service et ont l’air très bien organisés. Je prends deux photos en cachette mais le Cheikh m’a vue et il me demande de ne pas montrer leurs visages. Je présente des excuses et lui promets de ne pas utiliser les images. Ce que mes yeux ont vu s’est enregistré en moi: ce sont des soufis et il n’y a rien de visible à l’extérieur. Oui, l’essentiel est invisible pour les yeux, tout est à l’intérieur. Toute la richesse est dans le cœur.

– Catherine Touaibi