Emir Abd el-Kader – La voie du Chevalier

Né en 1808 à Mascara, Algérie
Mort en 1883 à Damas, Syrie

Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme, interrogez plutôt sa vie, ses actes, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est.

– Emir Abd el-Kader

 

L’homme est comme un miroir : le miroir reflète l’image du ciel que quand il est net.

– Emir Abd el-Kader

Bibliographie

› EXPOSITION consacrée à l’Emir Abd el-Kader, un homme un destin, un message. Textes de Setty Simon-Khedis, commissaire de l’exposition, Fondation Adlania, 2015

› L’Emir Abd el-Kader, un homme, un destin, un message, Textes Setty Simon-Khedis, Préface Cheikh Bentounes, Ed. bilingue ar-fr, Mostaganem, Fondation Djanatu al-Arif, 2015

› EMIR ABDEL-KADER, Le livre des Haltes, traduit par A. Penot, Paris, Dervy, 2008

› ETIENNE Bruno, Abdelkader, Paris, collection Pluriel, Fayard, 2002

› BOUYERDENE Ahmed Abd el-Kader, l’Harmonie des contraires, Paris, Seuil, 2008

› CHURCHILL Charles-Henry, La vie d’Abd El-Kader, Alger, Editions ANEP, 2006

› BESSAIH Boualem, De l’Emir Abdelkader à l’Imam Chamyl, Le héros des Thétchènes et du Caucase, Alger, ENAG Editions, 2001

› AOULI Smaïl, REDJALA Ramdane, ZOUMMEROFF Philippe, Abd el-Kader, Paris, Fayard, 1994

Trait d’union entre Orient et Occident

 

L’Emir Abd el-Kader fait partie des êtres exceptionnels de par son destin, ses actions et ses qualités humaines.

 

Naissance et éducation en Algérie

 

Abd el-Kader ibn Muhyî al-Dîn al Hassani al Jazaïri est né en 1808 à El Guetna, près de Mascara en Algérie dans une famille soufie de noble ascendance. Son père occupe la fonction de muqqadem (chef) de la confrérie soufie Qadiriyya. Sa mère, Lalla Zohra, lui apprend à lire et lui transmet le respect des traditions et des valeurs.

 

En 1827, avec son père cheikh Muhyî al-Dîn, ils effectuent le pèlerinage à la Mecque. Durant le voyage, son père, qui était un savant, lui enseigne la philosophie et les sciences islamiques. Le périple va durer deux ans. Ils se rendent à Damas au sanctuaire du grand soufi arabo-andalou Ibn Arabî (m. 1240) avec lequel Abd el-Kader entretiendra tout au long de sa vie des liens privilégiés. Par son père, Abd el-Kader a été initié à la chaîne spirituelle de Ibn Arabî.

 

A Damas se trouvait un grand maître soufi, le cheikh Khâlid al-Baghdâdî al-Naqshbandi (m. 1827) dont Abd el-Kader devient le disciple. Le voyage conduit les pèlerins à Bagdad au tombeau du grand cheikh Abd el-Kader Jîlanî (m. 1166), fondateur de la voie soufie Qadiriyya.

 

Lutte contre l’occupant français

 

Abd el-Kader est âgé de 22 ans lorsque la France envahit, en 1830, l’Algérie qui était auparavant durant trois siècles était placée sous protectorat ottoman.

 

En 1832, les tribus de l’Oranie prêtent serment à Abd el-Kader et il devient Emir, titre qui lui confère un pouvoir temporel et une autorité spirituelle. Le combat commence. Durant une quinzaine d’années, la deuxième plus grande armée du monde forte de 106'000 hommes va être à la poursuite de l’Emir qui, comme par miracle, réussit toujours à s’enfuir. Batailles, trahisons, signatures de deux traités avec l’occupant français qui lui garantissent une souverraineté sur une partie de l’Algérie, trèves, trahisons, combats. Tout en dirigeant des batailles contre l’occupant français, l’Emir met en place un gouvernement régulier. Il donne une place privilégiée à l’instruction publique. Durant cette période, il va jusqu’à frapper sa propre monnaie. L’Emir adopte un comportement chevaleresque en stipulant que les prisonniers doivent porter des vêtements propres, recevoir des médicaments si nécessaire et partager la même nourriture que ses troupes.

 

« Nous n’avions établi aucune différence entre les prisonniers et nos troupes, en ce qui concerne la nourriture et le couchage, bien plus ils avaient le privilège d’avoir de la viande, du café et autres choses de faveur. » 
Extrait d’une lettre de l’Emir au Roi Louis Philippe

 

« L'Émir Abdelkader et Henry Dunant partageaient une conviction commune. Cette conviction, si elle n'était pas absolument inédite, n'en revêtait pas moins un caractère novateur pour l'époque : tout individu hors de combat – qu'il soit malade, blessé ou prisonnier ou autrement incapable de se défendre – doit être traité avec humanité et sans la moindre discrimination. » Peter Maurer, Président du CICR

 

En 1841, le général Bugeaud va lancer la terrible politique de la terre brûlée. Malgré l’envoi des meilleurs généraux et officiers français, l’Emir résiste de toutes ses forces et reste insaisissable jusqu’en décembre 1847, quand, épuisé par les années de lutte et la mort dans l’âme, il doit capituler. Le 24 décembre, après avoir négocié les conditions de sa reddition, et obtenu la promesse qu’il sera libre d’aller s’établir à Alexandrie en Egypte, il offre son sabre et son dernier cheval noir au Duc d’Aumale.

 

La captivité en France

 

Le 25 décembre 1847, avec une centaine de membres de sa famille, il embarque sur un bateau, L’Asmodée, à destination de la France et il se retrouve prisonnier, d’abord à Toulon, puis à Pau ensuite à Amboise. Le roi et ses ministres devaient approuver la décision de le conduire en Egypte mais le gouvernement refuse de ratifier la promesse. Supportant mal le climat froid et humide ainsi que les conditions difficiles de détention, une vingtaine de membres de sa famille décèdent et sont enterrés à Amboise. L’artiste Rachid Koraïchi y a créé le Jardin d’Orient dédié à leur mémoire.

 

Finalement après cinq années passées en captivité en France, après avoir écrit de nombreuses lettres réclamant sa liberté, après avoir renoncé aux honneurs, aux biens et au pouvoir, après qu’un comité se soit mis en place pour obtenir sa liberté, après avoir promis de ne plus jamais retourner en Algérie, il est libéré le 16 octobre 1852 par Napoléon III.

 

S’ensuit un voyage à Paris, agrémenté de réceptions officielles, et de visites telles l’Opéra. L’Emir est acclamé par la foule. On le voit prier avec un indicible recueillement à la Madeleine et à Notre-Dame où il témoigne de son islam tolérant. Sa rencontre avec Mgr Dupuch, ancien évêque d’Alger offre un spectacle attendrissant, les deux hommes étant visiblement émus. Napoléon l’invite au Château de Saint-Cloud pour des promenades. Puis le cortège s’en va à Lyon, où une réception est organisée en son honneur.

 

A Marseille il profite de son séjour pour écrire des lettres de remerciements et d’adieu. Ainsi que le souligne Bruno Etienne dans son ouvrage Abdelkader : « A partir de calculs un peu compliqué je suis parvenu à la conclusion qu’il existe environ six mille lettres écrites par Abdelkader ou dictées à ses secrétaires ».

 

Empire Ottoman, Turquie et Syrie

 

Avec sa famille il part deux ans à Bursa en Turquie, puis suite au grand tremblement de terre, il s’installe définitivement à Damas en Syrie. Durant ces trente années, il consacre l’essentiel de son temps à la méditation et l’enseignement spirituel. Son ouvrage majeur « Le livre des Haltes » est composé de prises de note de ses différentes leçons aux disciples. En 1857 Abd el-Kader finance l’édition des « Illuminations mecquoises » Futuhât al-Makkiyya du Cheikh ibn Arabî.

 

En 1860, lorsque des émeutes éclatent, il sauve, au péril de sa vie, 15'000 Chrétiens. Pour cette action hautement héroïque, il va recevoir d’innombrables décorations de la part des présidents chefs d’états étrangers, dont la médaille de l’ordre de Pie IX, et devient ainsi l’homme le plus décoré de son époque.

 

« Ce que nous avons fait pour les chrétiens a été un devoir religieux et un devoir d’humanité. » Réponse à une lettre de Chamil, soufi, né en 1796 et héros du Caucase qui opposa une vive résistance à l’envahisseur russe.

 

L’Homme universel

 

En 1863, il décide de retourner à la Mecque pour le pèlerinage. C’est ici qu’il va rencontrer son maître spirituel, Sidi Muhammad al-Fâsî al-Shâdhili (m. 1872) qui lui déclare : « Cela fait vingt ans que je t’attends ».


Dans la grotte Hira sur la montagne de la Lumière (Jabel al-Nur), là où le Prophète Muhammad a reçu la révélation de l’Ange Gabriel, l’Emir Abd el-Kader effectue une retraite spirituelle qui va complètement le transfigurer. Libéré de l’emprise de l’ego, il atteint la perfection, réalise l’unicité, reçoit le degré suprême d’illumination et devient l’Homme universel (al-insân al-kâmil).

 

Derniers voyages

 

Suite à l’invitation officielle de Napoléon III pour l’ouverture de l’Exposition universelle à Paris en 1867, l’Emir effectue son dernier voyage en France. Il est fasciné par la modernité, en particulier les nouvelles machines. Le 17 novembre 1869, il assiste en compagnie des officiels à l’inauguration solennelle du Canal de Suez.

 

L’Emir quitte ce monde le 26 mai 1883 et, comme il l’avait souhaité, sera inhumé à côté de son cher maître spirituel Ibn Arabî à Damas. L’Emir Abd el-Kader nous laisse un héritage monumental englobant les valeurs humaines, l’universalité, le dialogue entre les cultures, de la fraternité ainsi que ses ouvrages philosophiques, poétiques et spirituels qui sont un trésor inestimable.

 

L’Emir Abd el-Kader incarne à la perfection l’esprit de la Futuwah, c’est-à-dire le comportement chevaleresque et la noblesse d’esprit.

— Catherine Touaibi

 

« Ce n’est plus le héros de mon enfance,

lancé sur son cheval au combat mais l’être

qui incarne les nobles valeurs chevaleresques,

l’humaniste qui, au péril de sa vie défendait la cause des opprimés,

même s’il n’étaient pas de sa religion,

comme le sauvetage des milliers de vies chrétiennes à Damas en 1860.

Il est le messager de la paix et du Vivre Ensemble. »

- Cheikh Khaled Bentounes