Abû Madyan - Shu’ayb – Le maître des maîtres

Né vers 1126 à Cantillana, Espagne

Mort vers 1198 à Tlemcen, Algérie

Ne rien attendre des gens, voilà la tranquilité!

– Abu Madyan

 

Se contenter de ce que l’on a, voilà la richesse! ...

– Abu Madyan

 

Le véritable maître, c’est celui qui te forme par sa façon d’être, t’éduque par son simple silence, et dont l’illumination éclaire ton intérieur.

– Abu Madyan

Bibliographie
  • › AL-‘ALAWI Cheikh, Sagesse celeste, traité de soufisme. Introduction, traduction de l’arabe et notes de M. Chabry et J. Gonzalez, Cugnaux, La Caravanne, 2007
  • › BENTOUNES Khaled, L’héritage commun, Zaki Bouzid Editions, 2009
  • › CORNELL Vincent J., The Way of Abû Madyan, Compiled and translated by Vincent J. Cornell, Cambridge, The Islamic Texts Society, 1996
  • › DERMENGHEM Emile, Vies des saints musulmans, Actes Sud, 2005
  • › DERMENGHEM Emile, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Gallimard, 1954
  • › GEOFFROY Eric, sous la direction, Une voie soufie dans le monde. La Shâdhiliyya, Maisonneuve & Larose, Espace du Temps Présent, Edition Aïni Bennaï, 2005
  • › GEOFFROY Eric, « Le rayonnement spirituel et initiatique de Sidi Abû Madyan au Proche-Orient (Egypte-Syrie) sur religioperennis.org
  • › REZKI Slimane, Abû Madyan, Le maître des maîtres, Paris, Albouraq, 2016

Né en Andalousie à Cantillana près de Séville vers 1126, Abû Madyan Shu’ayb est considéré comme la principale source initiatique du soufisme maghrébin. Orphelin dès son plus jeune âge, il est élevé par ses frères, gardant les troupeaux, avant d’apprendre le métier de tisserand. Très jeune, il est attiré par les livres. Lors d’un voyage au Maroc, assoiffé de connaissances, il devient l’élève de plusieurs cheikhs marocains qui lui transmettent un enseignement vivant.

 

Parmi eux Sidi Ibn Hirzihim (m. 1162) diffuse au Maghreb l’œuvre de al-Ghazâli (m. 1111) et lui enseigne les traditions rapportées par Tirmidhî (m. v. 932). Abû Madyan avait aussi entendu parler d’Abû Ya’zâ al-Maghribî (m. 1177), surnommé Yâlanûr (le possesseur de lumière), un Berbère végétarien qui vivait comme un ermite et qui avait un grand charisme. Après l’avoir éprouvé, Abû Ya’zâ Yalanûr l’accepte comme disciple et lui impose une ascèse rigoureuse composée de jeûne, d’invocations et de solitude. Comme le mentionne Slimane Rezki, «Sidi Abû Madyan trouva la lumière et l’assistance qu’il recherchait et parvient à la sainteté et à l’illumination. Il reçut les secrets indicibles et bénéficia des lumières les plus universelles.»

 

Par la suite, Abû Madyan se rend en Orient pour effectuer le pèlerinage à la Mecque. Considéré comme un savant, il jouit d’une réputation qui précède ses déplacements. Certains historiens pensent qu’il aurait rencontré lors de son séjour le grand cheikh de Bagdad, Abd al-Qâdir al-Jîlanî (m. 1166). Abu Madyan fréquente des disciples de Junayad et d’al-Ghazâlî qui lui confèrent une initiation.

 

A son retour de voyage, il se fixe à Bougie (Béjaia), en Algérie, ville qui relie l’Espagne à l’Orient dans laquelle de nombreux Andalous se sont établis. Dans cette ville, Abû Madyan passe près de trente ans à enseigner à ses nombreux disciples. Son enseignement a la particularité de rassembler l’essentiel du soufisme de l’Occident – Espagne musulmane et Maghreb et de l’Orient à travers les différentes chaînes initiatiques (silsila). Comme le mentionne Vincent Cornell dans son étude sur l’œuvre d’Abû Madyan, ce dernier « ne considérait pas le soufisme comme une voie d’ascétisme mais il pensait qu’il devait être intégré au milieu social. » Abû Madyan est qualifié de « Grand Secours » (al-qutb al-ghawth), sommet de la hiérarchie spirituelle des saints. De sa zâwiya (centre spirituel), il ne reste aujourd’hui hélas que quelques ruines.

 

Le grand cheikh arabo-andalou Ibn Arabî (m. 1240) cite souvent son compatriote Abû Madyan en se référant à son titre honorifique de « maître des maîtres » mais leurs chemins ne se sont probablement jamais croisés. Si rencontre il y a eu, alors sans doute, c’est dans le monde subtil… Il est par contre indéniable qu’Abû Madyan ait exercé une influence initiatique sur Moulây Abd el-Salâm Ibn Mashîsh, maître spirituel de l’Imam al-Shâdhilî, fondateur de la voie soufie Shâdhiliyya.

 

Alors que sidi Abû Madyan se rend auprès du Calife almohade Abû Yusuf Yaqub al Mansur (1199) au Maroc, il meurt près de Tlemcen, à El-Eubbad, là où se trouve aujourd’hui sa tombe. Saint patron de la ville de Tlemcen, le sanctuaire d’Abû Madyan, appelé Sidi Boumediene en Algérie, est un lieu très fréquenté par les pèlerins.

 

Dans son ouvrage « Sagesse Céleste » le cheikh Ahmed al-‘Alâwî (m. 1934) commente 180 aphorismes d’Abû Madyan, ce qui constitue un authentique traité de soufisme contemporain.

— Catherine Touaibi

 
Récit de voyage

Nous sommes en mars 2006. L’atmosphère du sanctuaire de Sidi Boumediene respire la douceur, la pureté, la bienveillance et la paix. Le gardien, assis sur un tapis, a des yeux bleus perçants et son regard est lointain. Je le salue. Gentiment il s’approche de moi, engage la conversation, me demande d’où je viens. Après m’avoir donné des explications sur la sourate Fatiha, il me fait répéter après lui chaque verset trois fois, en articulant très lentement les mots. Ensuite il me fait cadeau d’un Coran.

 

Avant de partir, une femme m’offre à boire de l’eau du puits dans une tasse en plastique bleue. L’eau est très froide. Deux heures plus tard, la gorge me brûle et je commence à me sentir malade.

 

Dans la rue à Tlemcen un groupe de gens me toisent du regard, d’un air réprobateur. Je n’aime pas ce regard dur et métallique. Mais avec le recul, en pensant à la peur et l’insécurité vécue par les Algériens durant les années noires du terrorisme, je me dis qu’il ne faut pas leur en vouloir. Ils ont le droit d’être méfiants, ce sont peut-être des réflexes. Ce groupe de personnes n’était peut-être pas des Tlemcéniens car ils ont la réputation d’être ouverts sur le monde. Sur le moment, mal à l’aise et irritée, je me précipite dans le premier magasin de vêtements pour m’acheter une Djellaba. Avec une veste mi-longue, j’estimais pourtant être vêtue de façon tout à fait correcte et décente… Lorsque je raconte au marchand que je suis venue à Tlemcen pour visiter Sidi Boumediene, il envoie immédiatement un de ses employés acheter les fameux biscuits de Tlemcen (kâak) et m’offre un gros paquet en souvenir ! On dit que les Tlemcéniens sont des gens généreux et j’ai pu en faire l’expérience.

– Catherine Touaibi